Avis des élus du CSE sur la politique sociale (CSE du 22 septembre)

Avec modération et diplomatie, les expertes du cabinet Syndex, cabinet qui suit Ouest France pour le compte du CE puis du CSE depuis plus de trente ans, relèvent dans la synthèse  que leur rapport sur la politique sociale d’Ouest-France présenté en juillet dernier, sur les  données de 2021, traduit « une modification graduelle et peu énoncée du contrat social à Ouest France ». 

De fait, la direction n’a jamais annoncé sa volonté de rompre le pacte qui, depuis les origines,  faisait d’Ouest-France une entreprise où salariés et dirigeants partageaient des valeurs  communes, où l’engagement des salariés était reconnu et valorisé, où le dialogue social n’était  pas une formule creuse. Au contraire, nos dirigeants n’ont peut-être jamais autant affirmé leur  attachement aux valeurs fondatrices. Serait-ce précisément le signe qu’elles sont en train de  s’effriter ? 

Les évolutions et dysfonctionnements qui ont marqué l’année 2021, dans le prolongement  des années précédentes soulèvent, en tout cas, de réelles questions et inquiétudes. 

Provoqué par un projet qui voulait moderniser et mettre la gestion des ressources humaines  au service du développement de l’entreprise, la réorganisation du service de la direction des  ressources humaines a donné lieu à des situations personnelles et collectives inacceptables dont  on voudrait être sûrs qu’il est maintenant derrière nous. Ce projet désastreux a mis à mal  l’ensemble des missions du service, laissé de nombreux salariés sans réponses à leurs  questions. Il a donné un coup d’arrêt aux processus paritaires, qui ont accumulé les retards. On  a vu aussi la confiance s’effriter et le doute s’installer chez les salariés qui ne pensaient pas  possible de voir, à Ouest-France, deux DRH et un médecin du travail successivement mis à la  porte ; suivis par une RRH au terme d’un long arrêt maladie et par la responsable des relations  sociales partie au bout d’une année, elle aussi après un arrêt maladie. 

Parallèlement au chaos où s’est trouvé plongé ce service, pourtant essentiel à la marche de  l’entreprise, on a vu aussi se multiplier divers dysfonctionnements et se développer des  méthodes en décalage avec les principes humanistes affichés par les dirigeants de l’entreprise. 

 

La prévention des risques 

Les élus constatent que la direction n’a pas semblé prendre la juste mesure des problèmes en  ce domaine. Face à des situations inquiétantes concernant plusieurs secteurs de l’entreprise, le  travail entamé au premier semestre 2022, après la présentation du rapport du cabinet Pennec  sur les risques psychosociaux et leur prévention, devrait déboucher avant la fin de l’année sur  du concret, du moins c’est l’engagement qui a été pris par la direction avant l’été. Parmi les  points chauds relevés dans cette étude, figurent les questions relevant de la charge de travail,  des dépassements horaires et de la formation des managers, autant d’importants facteurs de  risques psychosociaux. Mais en cette rentrée, les élus du CSE ne savent toujours pas comment  la direction compte s’emparer de ces problématiques, mises en lumière par le cabinet Pennec,  ni comment les déclarations d’intention se traduiront pour les salariés. 

Les élus rappellent également que l’entreprise n’a toujours pas présenté au CSE ni le Duerp (document unique d’évaluation des risques professionnels) ni le Papripact (Programme Annuel  de Prévention des Risques Professionnels et d’Amélioration des Conditions de Travail), alors  que la législation a renforcé les obligations de l’employeur en ce domaine. Sera-t-elle en mesure  de le faire tout en s’inscrivant dans un dialogue constructif avec le CSE et sa commission santé, sécurité, conditions de travail, comme le prévoit la nouvelle loi ? À ce jour, rien ne permet de l’affirmer. 

Les élus réaffirment donc, comme ils l’ont déjà fait ces dernières années, que dans une  entreprise en transformation, les conditions et la charge de travail, les organisations, la  prévention de tous les risques sont, pour la direction, une impérieuse nécessité, relevant, pour  certains aspects d’obligations légales, notamment de l’article L4121-1 du Code du travail. Il  revient donc à la direction de les prendre en compte pour progresser en ces domaines, dans tous  les secteurs de l’entreprise, avec le soutien de tous les intervenants : direction des ressources  humaines, services de prévention et de santé au travail, représentants du personnel élus au CSE,  syndicats et intervenants extérieurs. À tous les échelons de l’entreprise, cette thématique doit  devenir aussi importante que les impératifs éditoriaux, industriels et commerciaux. 

 

La gestion des effectifs 

Après l’alerte sociale sur la forte hausse de la précarité lancée par le comité d’entreprise fin  2018, qui a donné lieu à l’intervention de l’inspection du travail, la direction a engagé une réelle  réduction de la précarité en embauchant en CDI et réduisant le recours aux CDD, surtout à la  rédaction. Les élus du CSE attirent toutefois l’attention sur le secteur « employés » où la  précarité reste forte, comme le relève le cabinet Syndex. Cette catégorie de salariés nécessite  une attention soutenue de la part de la direction, en termes de formation, de suivi des carrières,  et plus généralement d’évolution professionnelle à moyen et long termes. 

Concernant les recrutements, la direction ne cache pas qu’elle est, comme de nombreuses  entreprises, confrontée à une difficulté croissante à trouver des candidats. Ce qui doit l’alerter  sur l’image de l’entreprise auprès des éventuels candidats. 

Les évolutions récentes s’inscrivent dans une profonde transformation de la structure du  personnel. En quinze ans, le nombre des ouvriers (200 en 2021) a été divisé par trois pour ne  représenter que 14 % des effectifs. Le plan de licenciements en cours va encore faire perdre  60 emplois. Les cadres (426) comptent désormais pour un tiers des effectifs ; les employés ne  sont plus que 132 (10 %). Les journalistes sont devenus la première catégorie professionnelle avec 619 inscrits qui représentent 45 % du total, ceci sans compter les journalistes rémunérés à  la pige employés par l’entreprise. 

 

La gestion des carrières 

Les élus relèvent à nouveau que l’entreprise n’est plus couverte par un accord GEPP (Gestion  des Emplois et des Parcours Professionnels, ex-GPEC) depuis 2017. Or, la GEPP permet  d’établir une photographie des ressources humaines disponibles (emplois, âge et qualification  des salariés, personnes détentrices de compétences clés) afin d’anticiper les besoins futurs de  l’entreprise et mettre en place les actions nécessaires (formations, mobilités, recrutements…)  pour faire face aux évolutions du contexte économique. Une démarche essentielle dans une  entreprise comme Ouest-France, en perpétuelle évolution. 

Pour rappel, les entreprises comportant au moins un établissement ou une entreprise d’au moins  cent cinquante salariés en France doivent engager une négociation sur la gestion des emplois et  des parcours professionnels et sur la mixité des métiers (article L2242-20 du Code du travail).  Or, si le calendrier social présenté au printemps dernier prévoit bien l’ouverture d’une  négociation de la GEPP, elle n’est prévue qu’à la fin 2023.

 

Une politique salariale injuste et peu lisible 

Les expertes de Syndex pointent ce que les syndicats et représentants du personnel dénoncent  depuis longtemps : le manque de « reconnaissance collective du travail » et l’absence  d’augmentations générales. La direction préfère les revalorisations individuelles, accordées  selon des critères qui manquent totalement de transparence et d’équité. Le risque, ajoute  Syndex, est « d’entamer le sens du travail collectif ». Il est aussi de creuser les inégalités et de  démotiver les salariés, nombreux, qui ne voient pas leurs efforts récompensés sans comprendre  pourquoi alors que d’autres reçoivent primes et promotions, sans non plus qu’on comprenne  toujours pourquoi. 

Depuis 2012, il n’y a plus eu aucune augmentation générale des salaires. La négociation  annuelle obligatoire (NAO), dont c’est l’un des sujets majeurs, s’est en grande partie vidée de  sa substance. Même en 2022, alors que l’inflation est de retour, la direction n’a accepté aucune  revalorisation permettant de compenser la perte de pouvoir d’achat que subissent les salariés,  année après année. Les élus ont pris note que la direction doit retrouver les délégués syndicaux  le mois prochain pour conclure la NAO 2022. Ils espèrent que cette « revoyure » permettra  d’aboutir à des dispositions prenant en compte l’inflation forte de cette année. 

Mais à ce stade, la direction s’en tient aux mesures individuelles. Avec toujours le même  argument qui ne convainc personne : « On peut pas donner l’argent qu’on a pas. » Mais  l’examen des comptes annuels montre que des augmentations de salaires et des primes sont  accordées individuellement, dans une totale opacité. Ainsi, en 2021, plus de 1,4 million d’euros  ont été distribués sous forme de primes exceptionnelles à 587 salariés. À qui ? Pour quels  motifs ? Ceux qui n’en ont pas eu avaient-ils démérité ? On l’ignore. 

Quoiqu’il en soit, la politique salariale à Ouest-France semble davantage relever d’une  variable d’ajustement financière que d’un investissement dans l’humain. 

 

Coup de frein sur la formation 

Les expertes de Syndex soulignent avec insistance le ralentissement de la politique de  formation qui était, de longue date, l’un des points forts de la gestion des ressources humaines  à Ouest-France. Alors que l’entreprise se transforme, les élus rappellent que la direction doit  faire en sorte que l’employabilité des salariés soit préservée, voire renforcée. La formation ne  doit pas être regardée comme une dépense mais bien comme un investissement. 

Concernant plus spécifiquement la formation des managers de tous niveaux, les élus  préconisent que le volet sur la prévention des risques y soit renforcé et que le rôle des  représentants du personnel dans une entreprise fondée sur les principes humanistes soit porté  au programme. 

 

Un dialogue social difficile 

Le remplacement des anciennes instances représentatives du personnel par le CSE s’est  avéré complexe et laborieux. On ne peut pas dire, après plus de deux ans de fonctionnement,  que le CSE a trouvé un rythme de croisière satisfaisant. La concentration au sein d’une seule  instance des prérogatives qu’exerçaient auparavant CE, DP et CHSCT rend la mission des élus  particulièrement lourde et difficile.

Les multiples changements de personnels au sein de la direction des ressources humaines  n’ont évidemment rien arrangé. Les cadres de la DRH doivent au fur et à mesure de leur prise  de poste prendre connaissance des dossiers et on constate que la façon de les appréhender ne  s’inscrit pas forcément dans la continuité. Un certain nombre de négociations ont ainsi pris du  retard ou ont abouti à des impasses. Le principe même du dialogue ne semble d’ailleurs pas  toujours aller de soi et il faut parfois en arriver à saisir l’inspection du travail ou envisager des  actions en justice pour que la direction accepte de se mettre autour de la table, ou concernant le  CSE, qu’elle respecte les prérogatives de l’instance, notamment sur les consultations prévues  par le Code du travail. 

Sur le plan simplement matériel et organisationnel, les élus ont, depuis des années et à de  nombreuses reprises, indiqué à la direction des pistes simples pour améliorer le fonctionnement  des IRP, faciliter leur travail et la tenue des réunions paritaires : anticiper les évolutions des  organisations et saisir en amont le CSE lorsqu’elles justifient son information ou sa  consultation ; élaborer de façon précoce un calendrier et éviter les multiples changements de  dernière minute ; équiper correctement une salle de réunion pour qu’elles puissent se tenir dans  des conditions convenables. Jusqu’à présent, en dépit de ses promesses d’améliorations, la  direction n’y a pas répondu. Ce qui est, en soi, un message éloquent quant à sa réelle volonté  d’entretenir un dialogue social constructif.

 

➡️ PDF : Avis sur la politique sociale CSE OF 22 sept 2022